Thèse : Production et usage des sphéroïdes au Paléolithique Inférieur en Europe et Afrique : étude comparative et intégrative d'objets énigmatiques et emblématiques
Les polyèdres, sphéroïdes et bolas sont des objets en pierre cubiques à sphériques énigmatiques présents dans les séries lithiques depuis le Pléistocène inférieur. Ces objets sont considérés à la fois comme nucléus en phase finale ou percuteurs et de multiples autres hypothèses plus ou moins fantaisistes ont été proposées dans le passé, rarement démontrées. Ces objets sont fréquents en Afrique et présents en Asie dès l’Acheuléen mais sont beaucoup plus rares en Europe. Ils sont aussi connus dans des contextes archéologiques récents et ethnographiques en Amérique. L’objectif de la thèse était d’identifier des caractères permettant de déterminer les modes de fabrication et d’utilisation de ces objets afin d’en comprendre le rôle joué dans la vie des hominidés qui les ont produits au cours du Pléistocène inférieur et moyen en Eurasie et en Afrique. La question a été abordée en mobilisant une approche comparative large, en incluant des données archéologiques récentes, ethnographiques et expérimentales par :
- la réalisation d’une synthèse ethno-archéologique,
- une reconstitution, par l’archéologie expérimentale et la tracéologie, des modes de fabrication et des possibles formes d’utilisation,
- une analyse de matériel archéologique du Paléolithique Inférieur en Europe et Afrique.
- Synthèse ethnographique et historique : abordée par des recherches bibliographiques et des données de terrain issues notamment du continent américain où ces objets ont été encore récemment utilisés et ont donné lieu aux hypothèses fantaisistes sur leur usage dans la littérature européenne. Une base de données intégrant des informations sur la présence, la localisation et les caractéristiques des sphéroïdes dans les différentes régions du monde a été mise en place.
- Manufacture et utilisation : des hypothèses sur les modes de fabrication et d’utilisation seront testées par des reconstitutions expérimentales ont été testées à l’Université Autonome de Madrid (centre d’expérimentation). La base expérimentale réalisée par P-J. Texier a aussi été exploitée pour les séries d’Isenya (Kenya). L’examen tracéologique (traces de percussion, piquetages, polissage, altération balistique) à la fois du matériel expérimental et archéologique a permis d’identifier les caractéristiques des traces liées à chaque activité.
- Les séries archéologiques étudiées sont issues de sites de régions et de périodes différentes : quatre séries nord-africaines du Paléolithique ancien comptabilisant plus de 500 pièces (Ain Hanech, Ain el Hallouf, Erg Tihodaïne, la carrière STIC de Sidi Abderrahmane), et cinq assemblages en France comptabilisant environ 100 pièces (la Noira, sites des terrasses du Roussillon, Tourville-la-Rivière, Duclos, Septsos). Une méthodologie commune fondée à partir des résultats expérimentaux a été appliquée sur les séries archéologiques avec comme optique la caractérisation de la ou des chaînes opératoires de manufacture de ces objets (concepts, méthodes et techniques), du rôle des matières premières sur la fabrication et des fonctions potentielles de ces objets en lien avec leurs caractéristiques morphologiques et morphométriques (analyses 2D et 3D). Selon les sites, ces pièces sont souvent considérées comme des outils indépendants ou des étapes dans une chaîne opératoire de fabrication unique. Les résultats seront comparés entre les sites et zones géographiques afin d’identifier les traits communs et les différences.
Le bilan de l’étude archéologique, expérimentale, tracéologique et ethnographique des polyèdres, sphéropïdes et bolas permettra de proposer de nouvelles hypothèses sur le rôle et le mode de fabrication de ces objets énigmatiques abandonnés dans les sites préhistoriques. Il permettra aussi d’alimenter les débats sur la présence d’objets apparemment identiques dans des registres archéologiques éloignés dans le temps et l’espace et de discuter la question d’objets issus d’histoires locales indépendantes et réalisés par des hominidés différents ou objets migrant avec les populations et s’adaptant aux nouveaux besoins de ces populations. Ces objets lithiques peuvent être considérés en effet comme des « éléments traces » pouvant aider à identifier l’éventuelle dispersion des groupes humains et/ou de traditions en Eurasie. Ils peuvent aussi être des vecteurs d’identification des modes d’adaptation des populations à des environnements variés (minéraux et végétaux) ou nouveaux, induisant la perte de certains éléments de la boîte à outils ou une réorientation des modes de fabrication en fonction des besoins et des matériaux disponibles.