Programme 2021 du séminaire d'histoire et d'épistémologie de la préhistoire

1ère séance – Séance inaugurale : lundi 15 février 2020 - 17h00 en ligne

Arnaud Hurel (MNHN, UMR 7194 HNHP), Hubert Forestier (MNHN, UMR 7194 HNHP) : présentation du séminaire

Denis Vialou (MNHN, UMR 7194 HNHP) - L’altérité, de l’Autre à Moi

Comme tout être d’un passé, proche ou lointain, le préhistorique habite notre imaginaire. Les recherches archéologiques, en s’assemblant et s’ordonnant, créent un puzzle dans lequel se profilent plus ou moins l’homme et ses activités, économiques, sociales, techniques, industrielles mais aussi intellectuelles, symboliques voire métaphysiques.

L’Autre de la préhistoire se trouve dans un caillou taillé, une sagaie affûtée, une cabane érigée, une poterie, un hameçon, un animal dépecé, un végétal découpé, un territoire de chasse circonscrit. Mais cet Autre technique reste dissimulé derrière toutes ses inventions et créations.

Pour saisir au moins un peu l’Autre préhistorique, il faut lui accorder le temps : celui ponctuel de la fabrication d’un outil ou d’une arme par exemple donne une première réponse mais qui reste parcellaire, ponctuelle, isolée.

Les ensembles artistiques, tel les dispositifs pariétaux, donnent un tout autre témoignage de l’Autre préhistorique. Ils montrent des représentations graphiques qui s’étalent dans un temps long, se combinent entre elles pour former finalement un tout graphique (inscrit dans la roche). Les dispositifs pariétaux racontent des histoires, celles qui collent aux groupent sociaux qui les ont créés.

L’Autre qui se dévoile sur les parois d’un site choisi, dans un paysage pensé, a élaboré de la pensée, voire une croyance. Il crée du sens, ce qui le rend sensible à nos interrogations : avec l’Autre artiste nous sommes en intelligibilité.

2e séance – Altérité et technique : mardi 6 avril 2021 - 17h00 en ligne

Nathan Schlanger (École nationale des chartes) : L’animal, la machine et le tailleur de silex préhistorique - les altérités technologiques d’André Leroi-Gourhan

Après avoir abordé les techniques dans une logique ethnographique et muséographique dans la première partie de sa carrière, André Leroi-Gourhan se tourne à partir des années 1950 vers d’autres approches et modèles – d’autres "altérités » – pour étoffer sa démarche empirique, et notamment pour aborder la taille du silex par les hommes du paléolithique. Ainsi sont mis à l’œuvre, successivement ou simultanément, la biologie néo-lamarckienne et la psychologie physiologique, les approches « comportementales » et la science des machines – autant de sources d’inspirations (souvent laissées implicites) pour rendre intelligible la technicité préhistorique, et plus largement pour promouvoir une certaine vision du monde technologique.

Antonio Pérez Balarezo (ArScAn-Équipe AnTET, UMR 7041, CNRS, université Paris Nanterre) avec Éric Boëda (ArScAn-Équipe AnTET, UMR 7041, CNRS, université Paris Nanterre), Marcos Paulo Ramos (Universidade Federal do Rio de Janeiro) : Ouvrir la genèse des objets ou la préhistoire face à l’altérité

Si l’objet préhistorique a été porté par l’Homme à un moment donné, et que de ce couplage fonctionnel passé seul la matérialité de l’objet survit au temps, quel genre d’altérité le préhistorien s’efforce-t-il de restituer ? L’altérité du préhistorique, l’altérité de l’objet ou l’altérité du couplage fonctionnel ? En d’autres termes, où se situent les frontières ontologiques et épistémologiques de l’altérité préhistorique ? Y a-t-il d’autres altérités ? Il est clair qu’une grande partie des préhistoriens serait encline à l’altérité humaine. Sans nier cet objectif disciplinaire, nous proposons dans cette présentation de changer la clef de voûte et de passer, d’abord, par une recherche de l’altérité de l’objet. Dès cette première considération, il est possible d’accéder à d’autres ordres d’altérités : celui du couplage fonctionnel et celle de l’humanité. Aborder les objets préhistoriques à partir leur altérité interne signifie les considérer comme des individus techniques ; c’est-à-dire comme des rencontres de deux singularités, l’individu et son milieu associé. L’objet préhistorique, donc, comme l’être plus un autre, comme l’être (ou l’étant)-en-tant-qu’autre, un individu fait pour son milieu et fait par son milieu. Pour « accéder » à cette abaliété de l’être technique, il est important « d’ouvrir la genèse des objets » (de penser l’objet dans sa genèse), c’est-à-dire de les situer les uns par rapport aux autres, de s’immerger dans leur individualisation technique (ils n’ont d’existence que de par leur lignage). Car il devient de plus en plus clair pour nous, après de nombreux travaux archéologiques à travers différents continents, que seule la genèse des objets nous permet d’étudier la (leur) singularité (et leur spécificité) à partir de l’universalité et vice versa ; i.e. passer de l’altérité (des autres) à l’individualité et vice versa. Percevoir ainsi l’(un) autre dans l’objet et accéder à l’individu technique. Nous considérons que celle-ci est l’altérité réelle que la pensée de l’individuation nous permet d’aborder en préhistoire.

3e séance : Altérité et anthropologie : lundi 26 avril 2021 - 17h00, en ligne

Claude Blanckaert (CNRS - Centre Alexandre Koyré - UMR 8560 - CNRS-EHESS-MNHN) : Du « même » à l’« autre ». Retour sur Cro-Magnon

Découvert en 1868 dans un site des Eyzies (Dordogne), l’homme de Cro-Magnon est aujourd’hui distingué comme le parangon de la « modernité » tant physique que culturelle de l’espèce Homo sapiens : il est « comme nous » et, selon l’expression assimilatrice de Jean Piveteau, « véritablement nous-mêmes ». Qualifié dès les années 1950 de « Néanthropien », par opposition aux types archaïques qui le précèdent, notamment pithécanthropien et néandertalien, il remplit un rôle essentiellement humaniste en embrassant toutes les populations actuelles du globe dans une seule ancestralité positive.

Néanmoins, les premières diagnoses des fossiles de Cro-Magnon témoignent au contraire de l’« étrangeté » des troglodytes de Dordogne. Pour bien des observateurs, ils illustrent l’altérité absolue d’une « race » sauvage et violente, sans équivalents « modernes » qui aurait, selon Paul Broca, péri brutalement sans descendance. D’un siècle à l’autre, l’inversion des représentations s’avère radicale et nous permet de réfléchir à la construction des catégories mobilisées dans ces temps d’émergence de la paléontologie humaine.

Thomas Ingicco (MNHN, UMR 7194 HNHP) : Le singe était dans la tombe et regardait l’Homme : statut des primates non-humains dans les sites préhistoriques du Sud-est asiatique

Étudier les primates non-humains retrouvés dans les sépultures d’Homo sapiens en Asie du Sud-est insulaire, c’est s’intéresser tout à la fois à l’ailleurs, à l’autrement et à l’autre. La proximité phylogénétique de l’Homme avec ces autres singes ne peut qu’interpeler le paléoanthropologue étudiant ces fossiles, miroir de l’âme de ces groupes humains du début de l’Holocène. Nous verrons que ces petits singes sont au cœur de ces sociétés préhistoriques par un jeu complexe de relations à plusieurs niveaux. Tout à la fois ils nourrissaient le corps et l’esprit, objets de chasse et offrandes dans les inhumations, mais également matière première d’outils permettant potentiellement l’acquisition de davantage d’individus.

4e séance : Altérité et environnement : lundi 10 mai 2021 - 14h00 en ligne

François Sémah (MNHN, UMR 7194 HNHP) : Colonie, Désirade ou Refuge ? Questions et leçons au contact des premiers habitants du Plateau de la Sonde

Pendant près de deux millions d’années, un chapitre majeur de l’évolution humaine s’est écrit dans les archipels d’Asie du sud-est. L’une de ses caractéristiques est de s’être déroulé dans un contexte climatique, environnemental et paléo(bio)géographique en perpétuel changement. Si le climat a été un des moteurs principaux de l’évolution de paysages insulaires progressivement conquis par l’Homme, seule l’archéologie aide à comprendre progressivement l’imbrication des mélanges génétiques, de l’adaptation biologique et de l’adaptation culturelle et sociale qui ont affecté ces groupes humains, y compris les Homo sapiens qui ont succédé aux Homo erectus ; à comprendre aussi les motivations des premiers insulaires de l’histoire de l’humanité à entamer une longue aventure qui s’achèvera (?), il y a tout juste quelques millénaires, par la conquête des océans par les peuples austronésiens.

Émilie Dotte-Sarout (University of Western Australia, School of Social Sciences – Archaeology / ArScAn, UMR 7041, CNRS, université Paris Nanterre) : La forêt domestiquée – comment (et pourquoi) changer notre regard au sujet des relations plantes-humains dans le Pacifique tropical ?

« La préhistoire des autres » a longtemps représenté une barrière conceptuelle pour cette discipline toute eurocentrée : l’histoire de l’archéologie nous montre combien il a pu être difficile de penser hors des cadres interprétatifs, peuplant la préhistoire occidentale d’« hommes sauvages » et de « primitifs » exotiques, pour enfin commencer à considérer la longue histoire de ces « Autres » lointains et contemporains, notamment dans la zone Indo-Pacifique. Si une préhistoire océanienne a finalement émergé de ces développements au cours du XXe siècle, les questions spécifiquement liées à la compréhension archéologique des relations hommes-milieux dans cette région cherchent encore aujourd’hui à se libérer de modèles de pensées laissant peu de place à l’altérité. Ceux-ci sont fondés sur des pratiques et systèmes relativement modernes, typiquement occidentaux ou méditerranéens, voire fortement influencés par les milieux semi-arides et tempérés : néolithisation et sédentarisation, domestication d’espèces animales et végétales, agriculture céréalière et centrée sur les espèces a reproduction sexuée, paysages délimitant espaces « naturels » et « cultivés »…

Les travaux précurseurs menés par les anthropologues et géographes depuis le milieu du XXe siècle en Asie du Sud-Est ou en Océanie tropicale, ont pourtant permis de révéler l’imbrication assumée qui existe entre « nature » et « culture » dans les socio-écosystèmes tropicaux de cette région : où les classifications entre « chasseurs-cueilleurs (pêcheurs) » nomades, ou « agriculteurs » sédentaires perdent sens, où domestication et agriculture sont des processus s’exprimant à l’échelle du paysage plus que de l’espèce, se fondant sur la diversité taxonomique plutôt que la sélection spécifique. Cependant la force des modèles interprétatifs, tout comme le sous-développement de disciplines essentielles à l’étude de ces questions comme l’archéobotanique, continue de contraindre notre compréhension d’une préhistoire environnementale qui soit « autre ». Comment envisager les nouvelles données de terrain, à la lumière de celles issues de disciplines diverses sur le dernier demi-siècle en particulier, et en échappant à un regard qui serait justement trop « éloigné » ? Faut-il décoloniser l’archéobotanique tropicale ?

5e séance : Altérité et art : lundi 17 mai 2021 - 14h00 en ligne

Patrick Paillet (MNHN, UMR 7194 HNHP) : Masques et Mascarades. Réflexions préliminaires sur une mystérieuse assemblée.

Si la grotte ornée de Font-de-Gaume (Les Eyzies de Tayac, Dordogne) est célèbre pour ses œuvres polychromes et gravées disposées en longs cortèges sur les parois de la principale galerie ouverte aux visites publiques, une nouvelle étude dans des secteurs topographiques moins connus et peu accessibles révèle la présence de dispositifs pariétaux originaux, marqués notamment par la fréquence de curieuses peintures, des "masques" ou des sortes de têtes et de faces animales ou humaines disposées sur des colonnes de stalactites ou des pendeloques rocheuses (souvent fracturées) et complétées par des points (yeux, narines, museaux), des barres et des traits noirs (oreilles, cornes, bois, …).

Si ces "masques" sont tous réalisés avec une grande économie de moyens, leur intégration au support et à ses caractéristiques naturelles et parfois suggestives, leur donne une étrange présence. Ces "autres", humains ou non-humains, jettent sur nous leur regard sommaire et à la fois énigmatique, depuis les saillies qui les font émerger de la paroi et qui leur donnent vie. Rarement nous nous sommes sentis ainsi observés, épiés en quelque sorte.

Une étude spécifique de ces entités graphiques, peu répandues dans l’art pariétal paléolithique (Altamira, Foissac, Mas d’Azil, Vilhonneur, Bernifal, etc.), en lien avec les autres représentations constitutives du dispositif pariétal de ces secteurs inconnus et avec les bris de spéléothèmes, intentionnels ou non, fréquemment observés dans ces lieux, est engagée dans le cadre de notre nouveau programme de recherche.

Rémi Labrusse (Université Paris Nanterre) : Soi-même comme un autre. Sur quelques tendances de la relation entre art actuel et préhistoire

Par ce titre emprunté à Paul Ricœur, il s’agit de suggérer que le travail à partir de matériaux, d’objets ou d’idées fournis et élaborés par l’archéologie préhistorique permet à certains artistes d’aujourd’hui de donner forme à un sentiment intérieur d’altérité. Sur l’horizon de la préhistoire, ce n’est pas le passé profond en tant que tel qui leur apparaît autre mais plutôt notre existence présente. Sans viser à l’exhaustivité, l’accent sera mis sur quelques itinéraires artistiques en cours de développement, parmi lesquels celui de Dove Allouche.

Publié le : 18/01/2022 14:36 - Mis à jour le : 22/01/2022 11:03