Programme 2025 du séminaire d’histoire et d’épistémologie de la préhistoire

1ère séance - Corps et mesures : mardi 25 février 2025, 17h00, en ligne

Mathilde LEQUIN (PACEA, UMR 5199) : Le concept d’humain anatomiquement moderne est-il problématique ?

À la différence de la « modernité comportementale », la notion de « modernité anatomique » a été relativement peu interrogée. Il s’agit à première vue d’un outil descriptif, qui permet de différencier les « humains anatomiquement modernes » des humains « archaïques », comme les Néandertaliens, tout en contournant les difficultés liées à la définition des espèces.  Une équivalence s’établit ainsi entre « humain anatomiquement moderne » et « membre de l’espèce Homo sapiens », dont la pertinence et les implications méritent d’être examinées. Nous présenterons les premiers éléments d’une réflexion sur la définition, les usages et les limites de la notion de modernité anatomique.

Amélie VIALET (UMR 7194 HNHP - PaléoFED) : Mesurer les formes : la difficile ambition de la paléoanthropologie

Dans la pure tradition de l’anatomie comparée, la paléoanthropologie a pour objectif la caractérisation des hominines (Homo sapiens et ses prédécesseurs depuis 7 Ma) et leur intégration dans un système de classification hérité des travaux de Carl von Linné (1707-1778). Il s’agit donc d’observer les différences de mesures et de formes, de quantifier ces dernières pour une observation qui se veut objective, dissociées des premières. Cette pratique se heurte alors à de nombreuses limites dues à la difficulté même de rendre compte des conformations osseuses, de démêler leur origine (développementale, fonctionnelle…) et leur inscription dans le temps (individuel ou évolutionnaire).

Lien de connexion pour assister à la séance : https://teams.microsoft.com/l/meetup-join/19%3ameeting_ZGQwYTE5NzItNmQ4Yi00ZWQzLTg2NWEtYzU1MmQ4Mjg5YTMw%40thread.v2/0?context=%7b%22Tid%22%3a%22d0e03c67-e3f8-40c1-a4c9-42041d74b08e%22%2c%22Oid%22%3a%223a1d8182-de19-41a9-a76b-e98516a1b300%22%7d

2e séance - Silhouettes et formes : mardi 25 mars 2025, 17h00, en ligne

Nicolas BALZAMO (Université de Neuchâtel) : « La construction d’une catégorie : brève histoire de ces Vierges qu’on appelle « noires » (XVIe-XXIe siècle) »

Le terme « Vierges noires » désigne aujourd’hui des images cultuelles médiévales – statues ou icônes – représentant la Vierge et caractérisées par leur couleur sombre. Non seulement cette appellation est tardive – elle émerge au tout début du XIXe siècle –, mais la documentation écrite médiévale est totalement muette quant à ces objets et il faut attendre les XVIe-XVIIe siècles pour que leur couleur spécifique donne lieu à des commentaires. A partir de cette époque, les interprétations se sont multipliées, depuis l’invocation de facteurs purement matériels – la couleur noire comme résultant de l’âge ou de la fumée des cierges – aux théories qui présentent les « Vierges noires » comme des représentations de déesses antiques ou préhistoriques christianisées a posteriori. Il s’agira donc de retracer l’histoire du regard porté sur ces objets et la manière dont ils ont fini par être érigés en catégorie spécifique au sein des images cultuelles chrétiennes.

Oscar FUENTES (Centre national de préhistoire, ministère de la Culture) : Par-delà l’humain et l’animal : l’approche de la silhouette dans l’étude des images paléolithiques

L’analyse des images paléolithiques en France s’est historiquement structurée par des démarches croisées, entre archéologie et histoire de l’art. La notion de style s’est imposée comme outil et grille de lecture des figures qu’elles soient figuratives ou non figuratives. De ce fait trois catégories d’images ont été abordées séparément, celle renvoyant à l’animal, à l’humain et des formes abstraites, qualifiées de signe. Mais quelle place, cette approche par classification typologique, laisse-t-elle aux images transfuges et non catégorisables ? Comment aborder les formes mouvantes qui ne sont ni humaines, ni animales et qui évoquent la métamorphose ? Enfin, comment aborder les images paléolithiques à l’aulne d’une approche anthropologique ? S’il faut garder le corps à l’esprit et repenser le dualisme animal/humain, il est nécessaire alors de rediscuter des bases d’une théorie générale des images paléolithiques.

3e séance - Former et apprendre : les enjeux de transmissions en préhistoire : mardi 15 avril 2025, 17h00, en ligne

Justin GUIBERT (TRACES - UMR 5608) : « De la Garonne à la Baksoka : perspectives eurasiatiques entre transmission et convergence au Pléistocène moyen »

La Préhistoire ancienne est profondément marquée par des cadres épistémologiques qui pour certains s’ancrent dans les balbutiements de la discipline préhistorienne. D’une périphérie à l’autre, d’un centre à l’autre, il s’agira d’interroger par le prisme des industries lithiques les processus de construction de « faciès culturels » et/ou l’application de technocomplexes à valeur locale, régionale parfois continentale. Au-delà de leur unité et de leur diversité, il sera alors intéressant de questionner l’équilibre entre la transposition de modèles occidentaux et la naissance d’entités culturelles singulières devenues pérennes en Asie du Sud-Est. Par ce biais, les notions de transmission et de convergence techniques seront alors confrontées aux données archéologiques in situ, lesquelles permettront d’aborder les problématiques des peuplements anciens et de « filiations » techniques des différents groupes humains au Pléistocène moyen. Enfin, cette présentation esquissera les enjeux actuels ainsi que les perspectives de recherches à la fois en Europe de l’Ouest et surtout en Asie du Sud-Est. 

Mots-clés : perspective Ouest-Est ; Far East ; Préhistoire paléolithique ; Industries lithiques ; Contextes géomorphologiques 

Marc-Antoine KAESER (Laténium, Université de Neuchâtel) : « Les modalités équivoques de la diffusion du mythe des cités lacustres, entre échanges savants, réception culturelle et divulgation populaire de l’archéologie palafittique »

Dès 1854, la découverte de vestiges d’habitat du Néolithique et de l’âge du Bronze sur les rives des lacs de l’arc alpin suscite un engouement populaire sans précédent pour l’archéologie des temps préhistoriques — que l’historiographie traditionnelle a toujours envisagé comme instantané et spontané. À l’examen, le « mythe lacustre », tout comme la « fièvre lacustre », ne se sont imposés que par étapes. Nous examinerons ce processus, qui met en lumière la part des acteurs scientifiques dans l’élaboration de ces représentations imaginaires d’un passé idéalisé.

4e séance - Faune et forme : mardi 13 mai 2025, 17h00, en ligne

Eva DAVID (UMR 7194 HNHP - NOMADE) : « L’outil et l’animal à l’Holocène ancien »

Claire JOUY (Université Lumière Lyon 2) : « Regard sur les mammifères entre objectivité et subjectivité à travers les vélins du Muséum National d’Histoire Naturelle sur la première moitié du XIXe siècle »

Quel regard la science et l’art combinés posent-ils sur le mammifère au siècle des Cuvier et Geoffroy Saint-Hilaire ? La collection des vélins du Muséum national d’histoire naturelle est une source visuelle remarquable conçue au cœur d’une institution qui participe activement à la légitimation et la professionnalisation de l’histoire naturelle. Pour elle, l’image est un outil de diffusion précieux. Entre 1793 et 1856, des artistes attachés du Muséum se spécialisent dans la peinture de mammifères. Leur mission est de concevoir des planches sur vélin, de la peau de veau mort-né, pour servir de « spécimens de substitution » aux professeurs du Muséum dans le cadre de leurs enseignements et de leurs recherches.

Sous la supervision d’un professeur référant, Étienne Geoffroy Saint-Hilaire puis son fils Isidore, l’image du mammifère évolue entre la vérité d’après nature et l’objectivité mécanique. Elle suit le mouvement impulsé par une histoire naturelle qui oscille entre une méthode systématique, philosophique, et pratique. Nicolas Maréchal (1753-1802) et Jacques-Christophe Werner (1798-1856) en particulier s’imposent comme de véritables artistes-savants dont les portraits individuels de mammifères révèlent les récits de la vie animale. Ce discours sensible et esthétique est pleinement assumé et accepté par les naturalistes. Qu’il s’agisse d’une faune sauvage, apprivoisée ou domestiquée, la science au service de la société s’accorde pour laisser paraître dans ses images les bribes de vies réelles ou fantasmées

5e séance - Fossile-directeur : mardi 20 mai 2025, 17h00, en ligne

Adèle CHEVALIER (UMR 7194 - PRETROP) : « Paléolithes, protonéolithes et néolithes : des fossiles directeurs pour repenser la classification des industries sud-est asiatiques (1924-1932) »

Les années 1920 sont marquées par la mise au jour, en Asie du Sud-Est, d’industries lithiques de type paléolithique, particulièrement en Indochine française et dans les Indes néerlandaises. Uniquement taillés ou très partiellement polis, ces outils sont trouvés dans des couches géologiques d’âge récent mais sont classés dans le Paléolithique. Alors qu’en Europe, les séquences géologique et typologique ont été corrélées pour préciser la chronologie de la Préhistoire, associant des périodes glaciaires et interglaciaires spécifiques aux divers stades du Paléolithique, ces découverte créent une discordance entre chronologie typologique et chronologie géologique. Les savants d’Asie du Sud-Est tenteront alors de la solutionner en établissant une nouvelle terminologie, ce qui sera l’un des moteurs principaux de l’établissement des Congrès des préhistoriens d’Extrême-Orient.

Cyrielle MATHIAS (UPVD, UMR 7194 – HNHP ; Centre de recherche français à Jérusalem, Israël) : « L’arbre qui cache la forêt. Le débitage Levallois au sein des assemblages lithiques en préhistoire »

Parmi les modes de production emblématiques des périodes anciennes en préhistoire, le débitage Levallois occupe une place de choix. Découvert dès la fin du XIXème siècle par Jules Reboux dans les sablières de Levallois-Perret - dont il prendra le nom-, ce concept de taille vise à la production d’éclats dont les morphologies sont prédéterminées par le biais d’une structure volumétrique caractéristique. Il est devenu au fil des années la clé de voute de la définition du Moustérien, ou plus largement du Paléolithique moyen en Afrique comme en Eurasie. Des préhistoriens et des préhistoriennes de différentes écoles se sont employés, à travers les années, à décrire les spécificités techniques qui le caractérisent ainsi que la diversité des méthodes qu’il regroupe.

Nous reviendrons dans cette présentation sur l’historique des études portant sur le débitage Levallois, ses critères de définition et leur évolution au cours du temps. Nous nous attacherons particulièrement à souligner la signification qu’il prend aujourd’hui dans les séries archéologiques d’un point de vue techno-culturel et ce que cela implique au regard de l’histoire des techniques. Ainsi, si les fossiles directeurs font l’objet de vives critiques au sein de la communauté scientifique actuelle et ne sont plus les seuls éléments considérés dans les caractérisations techno-culturelles, certaines traditions perdurent pourtant. Il en va ainsi du (ou plutôt, des) débitage(s) Levallois, dont l’identification (à l’instar du biface), continue de masquer une large part de la véritable composition technologique de certains assemblages. À partir d’exemples issus de contextes chronologiques et géographiques différents, nous montrerons que le débitage Levallois peut être perçu bien souvent comme l’arbre qui cache la forêt.

Publié le : 06/02/2025 09:49 - Mis à jour le : 17/02/2025 18:15