Programme 2026 du séminaire d’histoire et d’épistémologie de la préhistoire
1ère séance - Séance introductive : mardi 13 janvier 2026, 17h00, en ligne
Wolf Feuerhahn (Centre Koyré, UMR 8560) : Progrès: histoire d’un mot plutôt que d’une idée
Les rayons des bibliothèques débordent d’ouvrages sur l’histoire de l’idée de progrès. La collection « le mot est faible » (Anamosa) m’a offert l’opportunité d’aborder autrement la question « du Progrès »: partir des occurrences du mot, de ses adjectivations et des pratiques et représentations afférentes plutôt que de postuler un sens unique. Il en ressort l’histoire d’un mot qui n’a jamais fait l’objet d’un consensus, mais a toujours été source de controverses. J’en indiquerai certaines afin de montrer les enjeux qu’il a pu véhiculer.
2e séance - Évolution et progrès : mardi 17 février 2026, 17h00, en ligne
Silvia De Cesare (Freudenthal Institute - Utrecht University) : La théorie évolutive et l’idée de progrès organique
Le concept de progrès est défini généralement comme un « changement vers le mieux », impliquant ainsi un élément descriptif et une connotation de valeur. Cette notion a plusieurs domaines d’application. On peut parler de progrès de la civilisation humaine dans son ensemble ou bien, plus spécifiquement, de progrès technique ou moral. On peut également parler de progrès dans l’évolution organique, en se demandant si cela a du sens de dire que « quelque chose » s’améliore au cours de l’histoire des êtres vivants. Cette présentation va se concentrer sur la question de progrès organique dans l’objectif de comprendre le lien entre cette notion et la théorie de l’évolution par sélection naturelle, dont les bases conceptuelles ont été jetées par Charles Darwin. Pour emprunter une expression de l’historien des sciences John Greene, les biologistes de l’évolution après Darwin semblent incapables de vivre avec l’idée de progrès organique, mais également incapables de vivre sans cette idée. J’essaierai de montrer les raisons de cette attitude ambiguë. Je soutiendrai que, si les biologistes de l’évolution ont de bonnes raisons de se méfier de la composante de valeur impliquée dans l’idée de progrès, on peut identifier des arguments théoriques qui légitiment de parler d’améliorations organiques relatives à l’environnement. Cela m’amènera à discuter, en particulier, le concept d’adaptation et celui d’évolvabilité.
Pierre Gousset (MNHN, UMR 7194 HNHP) : « Le progrès dans l’évolution biologique : une notion à redéfinir ou à abandonner ? »
Initialement liée à une approche religieuse de la biologie, la notion de progrès dans l’évolution biologique est depuis le XIXe siècle débattue parmi les évolutionnistes sur des bases rationalistes. L’évolution humaine tient une place importante dans ce débat. La « marche vers le progrès », longtemps utilisée pour décrire l’évolution humaine et encore récemment représentée dans les manuels scolaires, est battue en brèche par de récentes découvertes et de nouveaux paradigmes. Néanmoins, de nombreuses questions restent irrésolues au sein de la communauté des évolutionnistes. Doit-on abandonner le mot progrès sachant le sens qui lui a été donné par le passé ? Il semble possible de concevoir un progrès au cours de l’évolution dans le cadre de la sélection naturelle. Mais quelle place doit-on lui accorder parmi l’ensemble des processus évolutionnaires existants ? Les points de vue diffèrent quant à la prééminence de la sélection naturelle comme force évolutionnaire. Alors que les « adaptationnistes » lui confèrent un rôle majeur, d’autres auteurs et autrices mettent en avant le rôle de la contingence historique et de contraintes architecturales et développementales. Enfin, la sélection naturelle peut-elle être réellement conçue comme une « force du progrès » ou doit-elle être réduite à un phénomène adaptatif local, ne poussant à un progrès valable qu’au sein d’un environnement bien circonscrit ? Pour répondre à cette question, le progrès biologique doit pouvoir être évalué, ce qui nécessite de mieux le définir. Les désaccords au sein de la communauté quant à sa définition nous conduiront à présenter différentes propositions et une attention particulière sera portée aux phénomènes de convergence.
3e séance - Révolutions : mardi 17 mars 2026, 17h00, en ligne
Jean-Luc Chappey (Institut d’histoire moderne et contemporaine IHMC-UMR 8066 Paris 1/ENS/CNRS): « Le progrès en Révolution »
Si les Lumières n’ont pas « fait » la Révolution (D. Darnton), il n’en reste pas moins vrai que, pour « devenir révolutionnaires » (T. Tackett), les députés de 1789 ont largement puisé dans le registre des théories du XVIIIe siècle, pour légitimer leur coup de force contre l’absolutisme. C’est en large partie au nom du progrès que sont justifiées les transformations profondes qui sont mises en place au cours des premières années de la Révolution. Le recours à la notion de « progrès » est encore utilisé lorsque, au lendemain de la chute de Robespierre, il s’agit de dénoncer les « barbares » et la « Terreur » (B. Baczko), les Idéologues de la Classe des sciences morales et politiques de l’Institut national mobilisant la notion pour justifier la coupure entre des élites civilisatrices et un peuple à civiliser. Cette contribution a pour objet de questionner les différents usages de cette notion de progrès dans les dynamiques révolutionnaires (1789-1799).
Jean-Paul Demoule (Institut Universitaire de France, université Paris I) : « Le néolithique, une révolution ? »
Claude Lévi-Strauss avait coutume d’affirmer que deux révolutions ont marqué le cours de l’humanité, la révolution néolithique, puis la révolution industrielle. En réalité, la seconde n’est que la conséquence de la première, et n’aurait pas vu le jour sans elle. C’est en effet avec l’agriculture sédentaire que l’humanité est passée en 10.000 ans (5% seulement de la durée d’homo sapiens) de deux ou trois millions à huit milliards, de petits groupes nomades à des mégalopoles, et de sociétés relativement égalitaires aux actuelles. Symétriquement, il est devenu à la mode de considérer que cette invention aurait été la pire que l’humanité ait produite – et on donnera quelques exemples de ces affirmations. Mais les techniques ne sont-elles pas juste ce que les sociétés en font ?
4e séance - A rebours : mardi 28 avril 2026, 17h00, en ligne
Maria Beatrice di Brizio
Raphaël Angevin (SRA Auvergne-Rhône-Alpes, UMR 7041 ARSCAN) : Châtelperron et le Châtelperronien : une construction à rebours (1906-1954)
La définition progressive de « l’industrie de Châtelperron » (Aurignacien inférieur sensu Breuil 1906) puis du « Castelperronien » ou « Châtelperronien » (sensu Garrod 1938 et Delporte 1954) s’est toujours opérée à rebours, en remontant des interprétations vers les observations archéologiques. A distance des travaux de terrain conduits depuis le XIXe siècle dans le gisement éponyme de la « Grotte des Fées » (Allier), cette reconstitution des faits à partir d’un modèle (pré-)établi explique, pour une large part, certaines erreurs manifestes d’appréciation et pose, en des termes singuliers, la question de l’administration de la preuve en Préhistoire. Dans le cadre de ce séminaire, nous tenterons de montrer qu’une mauvaise appréhension des données archéologiques - à l’origine d’une démonstration incomplète ou erronée - peut mener, en régime de contradiction, à poser les fondements d’une nomenclature chrono-culturelle solide, encore en vigueur aujourd’hui. À travers la réévaluation critique des travaux effectués autour de Châtelperron dans les années 1860, 1900 et 1950, nous essayerons ainsi de percevoir comment un défaut d’interprétation, loin d’être un obstacle ou une vérité en sursis, peut paradoxalement se trouver au fondement d’un large consensus scientifique.
5e séance - Crise et progrès : mardi 19 mai 2026, 17h00, en ligne
Dylan Simon (Université de Lille – UMR HARTIS) : « Civilisation rurale et progrès au prisme des sciences sociales (années 1940-1950) »
La question de la crise de la « civilisation rurale » et celle, subséquente, de sa modernisation donne lieu à de profonds dissensus dans les sciences sociales françaises des années 1940 et 1950. Les experts – sociologues, ethnologues, géographes, économistes, agronomes – divergent en effet sur ce que signifie le progrès des campagnes. Pour de nombreux praticiens, le progrès ne peut advenir qu’au prix d’une rupture avec la tradition et consiste en une modernisation technique calquée sur le modèle de certains pays occidentaux. D’autres, à rebours des premiers, refusent d’inscrire leur expertise dans une telle perspective univoque et modernisatrice, mais également souvent dévalorisante, à l’instar d’Henri Lefebvre, qui promeut le rôle dynamique des « communautés rurales » dans l’histoire, ou d’André Varagnac, qui stigmatise l’ère du machinisme dans les campagnes. Relire ces différentes controverses, me permettra donc aussi d’observer les acteurs de celles-ci.
Emmanuelle Honoré (Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, UMR 8068 TEMPS Technologie et ethnologie des mondes préhistoriques) : « Entre crise et progrès : stratégies et non-stratégies d’adaptation à l’aridification holocène au Sahara »
A la fin de l’Holocène moyen (7000-4000 BP), le Sahara connaît des changements environnementaux d’une ampleur considérable avec une aridification rapide du « Sahara vert ». Alors que les enregistrements archéologiques permettent de déceler une dynamique de repli des groupes humains vers les massifs, la culture matérielle ne montre pas de changements majeurs. Cependant, l’étude du répertoire et des pratiques de l’art rupestre de cette même période offre un tableau très contrasté en rendant compte de l’émergence du pastoralisme, nouvelle pratique longtemps décrite comme stratégie d’adaptation face au changement environnemental.